Je lutte des classes


Par Gérard Paris-Clavel - décembre 2009


C’est la merde, on a compris. Le capitalisme nous ensevelit sous les signes de sa domination. Il désincarne, nous sépare des autres et de nous-mêmes. Il nous place dans une immédiateté sans passé ni futur, sans causes ni conséquences, coupés du monde et de l’histoire. Ses divertissements mercantiles et sa religion publicitaire visent à accumuler les profits, mais aussi à nous écraser dans le mur du fatalisme. Vendu aux marchands du bonheur conforme, l’espace public se restreint chaque jour un peu plus.

Cette guerre nous a volé nos langues et nos sens : on parle des « exclus » à la place des « exploités », et les classes ont fini à la casse, serinent les experts télégéniques. Avec le concours de ses domestiques, le capitalisme s’acharne à coloniser nos rêves.


Intime et collectif

Nous sommes ici présents, toujours là, avec nos consciences meurtries par les injustices et nos corps traversés de désirs. Partout, des camarades continuent de se battre sans relâche. Dans les entreprises ou dans les cités, car la ville est aussi un lieu d’affrontement réel des mécanismes de domination. Grâce à eux, à leur générosité infaillible et à leur vitalité chaleureuse, nous sommes encerclés peut-être, mais pas vaincus. Nous voulons mener encore les grands combats pour l’émancipation. Nous affirmons notre volonté de maintenir, d’étendre l’existence et la qualité des services publics. Mais faute de prendre en compte la démission collective face à l’exigence des formes (si criante souvent qu’elle rend le moindre fast-food plus désirable que la Sécurité sociale), nous n’y arriverons pas. Le secteur privé nous promet du confort et des frites, quand le public nous réserve des grilles et des chaises bancales.

À travers les milliers de messages qu’il martèle tous les jours, le capitalisme est parvenu à fracasser notre sens critique : nous n’avons comme perspectives de consolation que celles offertes par la consommation individuelle. L’utopie progressiste ou, à plus forte raison, communiste s’est brisée provisoirement. Et avec elle, notre imaginaire a volé en morceaux. Nous sommes des résistants à tout, mais nous apparaissons le plus souvent partisans de rien.

Nous ne nous y résignons pas. « Rêve générale », a été proclamé dans la liesse du partage, au cœur des cortèges… Et jusque sur les corps, dans les logis et dans les bureaux, au plus près de chacun. Ce serait triste de s’arrêter là. « Je lutte des classes » permet de prolonger et d’amplifier heureusement cette dynamique. « Je » : l’intime, en tension avec « les classes » : le collectif. On n’échange pas que des coups dans les luttes ; on partage aussi des solidarités, de la tendresse entre nos singularités.


Utopistes debout !

Dans ce chantier, les images peuvent nous aider parce qu’elles constituent une forme ouverte du langage. Chacun a le droit de les investir et de les interpréter… L’expression de la politique, c’est déjà de la politique ; passage obligé des idées, elle peut les traduire, ou les trahir. Il ne suffit pas que des dirigeants aient compris pour que le peuple suive. Nous voulons partager du sens, susciter des questions, éveiller du désir. Qu’on arrête de nous sonder et qu’on nous écoute enfin !

Il est vital de repenser les formes de nos luttes, repolitiser nos cultures. Il est urgent de prendre le temps, d’articuler un projet dans la durée, avec sa part d’expérimentations, de critiques solidaires et même d’échecs. 1789, la Commune, le Front populaire, Mai 68, les grandes grèves de 1995… Les lampions de la révolution sont éteints, veut-on nous faire croire. Pourtant, les luttes d’hier ne sont pas terminées, et le dialogue historique permet d’instruire les luttes d’aujourd’hui. Il faut reconquérir la part d’utopie nécessaire aux désirs de la transformation sociale. Reprenons les rues et inventons un nouvel imaginaire politique !


Gérard Paris-Clavel - texte paru dans l’Humanité du 21 décembre 2009